Posted On: | 2006-12-02 22:44:53 |
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abime,
O beauté? ton regard infernal et divain,
Verse confusément le bien et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore;
Tu répends des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres?
Le destin charmé suit tes jupons comme un chien;
tu sème au hasard la joie et les désastres,
et tu gouvernes tout et ne répond de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques;
De tes bijoux l'horreur n'est pas le moins charmant,
Et le meurtre, parmi tes plus chères breloques,
sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement
L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit: bénissons ce flambeau!
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô beauté! monstre énorme, effrayant inégue!
Si ton oeil, ton sourir, ton pied m'ouvre la porte
D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu?
De satan ou de dieu , qu'importe? Ange ou Sirène?
Qu'importe si tu rends,- fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, Ô mon unique reine!
L'univers moins hideux et les instants moins lourds?
Charles beaudelaire
Les fleurs du mal