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Title:Rencontre avec Sasha Shulgin, le pionnier de l'ecstasy.
Posted On:2008-10-16 06:07:07
Posted By:» Nismo
Views:2893
Le nom de Sasha Shulgin ne leur dit probablement rien, mais huit millions de personnes ont consommé la plus connue de ses molécules l’an passé. En 1976, enfermé dans sa cahute avec des éprouvettes, le chimiste redécouvre un produit breveté par les laboratoires Merck en 1914 mais oublié depuis : le MDMA. Utilisé par certains psychothérapeutes qui lui donnent le nom “Adam”, il se diffuse dans le milieu de la nuit, avec une nouvelle appellation cette fois : Ecstasy. Le produit est interdit en 1986.

« Pour ma part, je continue à l'appeler 3,4-méthylènedioxyméthamphétamine. » Personne au monde n’est capable de prononcer ce mot aussi vite que Sasha Shulgin. Lui qui profitait des effets de sa molécule pour apprécier, d’une oreille nouvelle, ses morceaux préférés de Prokofiev ou Chostakovitch était alors très loin de s’imaginer que l’ecstasy deviendrait la drogue symbole des rave parties et des soirées techno.

« On déjeune dans une demi-heure ! », lance gentiment mais fermement une dame en tablier depuis la cuisine. Des parts de melon sourient dans un grand plat, le tic-tac du four est plein de belles promesses. Dans la salle à manger, murs et meubles disparaissent sous des strates de photos, tableaux, coupures de presse dont un examen minutieux retracerait à coup sûr la destinée pittoresque d’Alexander et Ann Shulgin. Ce grand type en sandales, qui repousse d’un revers du bras le souk recouvrant la toile cirée, est déjà dans les dictionnaires. Pour les amateurs d’expériences psychédéliques, c’est une légende vivante, un chimiste de génie qui a inventé plus de 150 molécules hallucinogènes au cours de sa vie.




Né en 1925, Sasha Shulgin n’aime pas qu’on l’appelle Alexander. Aux États-Unis ou en Russie, le pays de ses parents, on préfère les diminutifs, moins formels. Dans sa maison nichée à flanc de colline, à quelques kilomètres de San Francisco, il en a vu défiler, des curieux. Ça n’a pas l’air de le gêner : tout dans ses manières et sa chaleur trahit un intérêt certain pour l’espèce humaine. Docteur en biochimie, Sasha Shulgin a commencé sa carrière en tant que salarié d’une entreprise privée, Dow Chemicals. Dans les années 60, il met au point un insecticide très rentable. Il y gagne une certaine autonomie vis-à-vis de ses employeurs qui le laissent alors bricoler dans son coin. Fasciné par une expérience sous mescaline, il se lance dans la chimie hallucinogène. Un peu embarrassant pour l’entreprise. Shulgin décide de se construire un laboratoire au fond de son jardin.

C’est là que, depuis une trentaine d’années, il met au point ses substances, officiant tour à tour comme consultant scientifique pour les institutions américaines de lutte contre la drogue et professeur de pharmacologie à l’université de Berkeley. La chemisette usée par les lessives ne fait pas le moine. « Les outils que j'ai créés étaient appelés au départ drogues psychotropes ou psychoactives : des drogues qui agissent sur l'esprit. À l’origine, le terme commun était drogues psychomimétiques, ce qui veut dire qu’elles imitent la psychose, puis on les a appelées drogues hallucinogènes. Mais ce n’est pas exact car elles ne provoquent pas vraiment d’hallucinations. Quant à moi, je les ai toujours appelées drogues psychédéliques. »

Les molécules qu’invente Sasha Shulgin ne sont pas illégales puisqu’elles n’existaient pas avant qu’il ne les crée. Chaque nouvelle substance traverse donc une période flottante, jusqu’à son interdiction par les autorités. Le chimiste n’en est pas à sa première tracasserie avec l’administration. Il est même arrivé que le jardin soit envahi par les sirènes et les bandes jaunes “Police, do not cross”. Il a toujours publié les résultats de ses travaux. Dans des revues scientifiques sérieuses, tout d’abord. Puis, quand l’intérêt pour ce type de molécules a décliné, dans les années 80, dans des livres. Dans PIHKAL et TIHKAL, deux pavés co-signés avec sa femme et publiés à compte d’auteur, il mélange formules chimiques, récits de trips et saga conjugale.

Quand il pense avoir trouvé une nouvelle molécule active, il la teste lui-même, puis la fait goûter à sa femme. Ils commencent par de petites quantités et augmentent progressivement les doses jusqu’à l’effet voulu. Ils réunissent ensuite un groupe d’amis volontaires. L’un d’entre eux – le “baby-sitter” – restera sobre, en cas de problème. À chaque étape, toutes leurs observations sont scrupuleusement consignées. « Je suis de nature curieuse. Je fais cela parce que je suis curieux quant au fonctionnement de l'esprit. Beaucoup d'études ont été réalisées sur la manière dont les drogues affectent le cerveau. Avec les drogues qui modifient le cerveau, on peut utiliser des animaux pour des expériences, mettre des éléments radioactifs à tel ou tel endroit, puis découper le cerveau en tranches pour voir où s'est nichée la radioactivité. Il ne serait pas très éthique de faire cela à des humains. On a besoin d'observer non seulement le cerveau mais aussi l'esprit. Je veux dire les éléments qui caractérisent l'humain : l'empathie, l'anticipation, l'interactivité personnelle… »

Tout autour de la maison, des chênes centenaires, magnifiques, étirent des formes torturées. Mais c’est surtout la quantité de cactus – en parterre, dans les plates-bandes sous serre, – qui est déroutante. Sasha Shulgin s’est toqué des cactus il y a longtemps : il cherche de nouvelles molécules actives derrière les épines. Dans la cabane-laboratoire du chimiste, une odeur abjecte et indéterminée saisit la gorge. Flacons et boîtes, certaines scellées par la rouille, recouvrent toutes les surfaces planes. Surmontée de tubes emmêlés, une décoction répugnante fait des blop dans un alambic. Il y a, dans ce capharnaüm, de quoi mettre en orbite une bonne partie de la population californienne. « Je pense que l’une des molécules les plus mémorables est probablement la 2-CB, qui est une substance dont les effets commencent tout doucement. Lors de ma première expérience, elle m'a permis, dans un musée, d'observer des peintures et de comprendre pour la première fois pourquoi le peintre les avait peintes ainsi. À travers la peinture, on atteignait le peintre. Et c'est ce type de communication que je trouve extrêmement intéressant et frappant. Ceci dit, j'essaie de ne pas devenir un utilisateur chronique de produits psychédéliques. C’est la découverte que je trouve excitante. Pas l'exploitation, mais la découverte. Et je veux rester capable de le faire. »
Member Comments
» Iznogood said @ Sat Feb 14, 2009 @ 10:26pm
Merci!
» Soulslayer said @ Mon Nov 3, 2008 @ 4:13pm
Très intéressant comme book effectivement.
» Nismo said @ Tue Oct 21, 2008 @ 10:03am
Drogues et cerveau, un livre de Stéphane Horel et Jean-Pierre Lentin