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Le néant m’englobe. Mon regard se perd à l’horizon. J’entends chantonner l’air du désespoir. C’est étrange, car je ne me souviens pas avoir déjà su chanter cet air et pourtant, il m’est familier. Il résonne en moi une atmosphère familiale d’entraide et de chaleur révolue. Je suis étendue sur le dos, rendue à un point culminant de mon existence. Rendue à l’inévitable. Je suis étendue sur le sol, je n’arrive plus à respirer. J’étouffe, c’est comme si l’air qui m’englobait se dispersait en particules. J’ai l’impression de mourir, de cesser enfin d’exister. J’écoute les sons qui m’entourent. Je tourbillonne sans fin dans l’immensité. Je revis dans un monde fantastique où toutes les couleurs sont plus claires et plus pures. Je me sens si libérée, mais il reste tout de même ce petit grain de malheur qui empoisonne mon sang me rappelant une minute à la fois ma laideur. Je revis des souvenirs qui s’étaient effacés de ma mémoire, mais je soupçonne qu’ils n’ont jamais existé. Je suis dans mon appartement. Un cinq et demi de la rue Foucher. Je longe le couloir effleurant de mes mains les moulures gravées dans les parois murales. Je ne reconnais pas mes mains, elles sont différentes, plus petites et plus naïves. Le plancher de bois craque sous mon poids. J’entre dans la salle à manger mal éclairée et aperçois mon père assis sur le futon qui se ronge les doigts en buvant une bière. Il semble tellement seul. Son regard erre dans le vide. Malhonnête avec lui-même. Ma mère est dans la cuisine, elle prépare le repas. Ça sent la douceur dans toute la maison. C’est une odeur indescriptible qui m’emplit les narines et qui m’allège de mon fardeau. Je suis dans ma chambre, assise par terre, les mains sur les oreilles. Je crie des mots qui se perdent dans le désordre tremblotant de ma voix. J’ai environ quatre ans et ma naïveté vient de s’écrouler encore une fois. Je ne sais pas combien de temps ça me prendra pour la rebâtir. Mes parents sont de l’autre côté de la porte. J’entends leurs hurlements transpercer le bois. Je serre contre moi mon protecteur. Je les supplie d’arrêter, de cesser de me détruire. Mais ils sont trop préoccupés par eux, par leur chicane qui me démolit à petit feu. C’est le matin. Je me réveille dans mon lit. Mes couvertures sont chaudes et je me sens bien, emmitouflée à l’intérieur. Les parcelles de soleil m’illuminent. Je sors de mon lit doucement. Étrangement, la maison n’a pas son habituelle odeur de réconfort. En ouvrant la porte de ma chambre, j’aperçois mon père remplir un sac de ses vêtements et de ses effets personnels. Ma mère est assise avec son gros pull de laine sur une chaise en bois et elle renifle son désarroi. Elle a les yeux rouges et bouffis par la peine. Mon père met son sac sur son épaule et s’approche de moi l’air de regretter ou d’avoir quelque chose à se faire pardonner. Il pose sa main dans mes cheveux et les ébouriffe quelque peu puis m’embrasse sur le front. Son baiser est sec et sans aucune émotion. Il se retourne, puis disparaît dans l’embrasure de la porte. J’étais trop jeune pour comprendre. Pour comprendre que ce serait la dernière fois que je le verrais. Je suis perdue. J’ignore qui je suis et où j’en suis. Je ne sais même pas pourquoi j’agis de la sorte avec mes semblables. Pourquoi constamment vouloir détruire? Mon cœur veut exploser. Mes souffrances sont indescriptibles. Je suis la personne la plus seule au monde. Je suis tapissée de misère et de tristesse. La mélancolie me pèse. Mon illusion est complète. Je ne suis qu’une hypocrite solitaire et déloyale. Je regarde devant moi et je ne vois rien. Je suis vouée à l’échec. Je suis vouée à ne jamais avoir de réactions. Je sors lentement de ma torpeur. Je reprends mon souffle. Je respire à grande bouffée. Je suis depuis si longtemps endormie. Je m’assois d’un bond, autour de moi il n’y a que la pénombre des jours gris qui passent les uns après les autres. J’ai mal au bras, à la tête et aux muscles. Je suis épuisée. Le soleil s’est déjà enfui. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Tout semble si sale, si méprisable, si dégoûtant. Je ne veux pas me réveiller, je veux me rendormir pour toujours. Je suis exténuée de vivre une existence qui tourne en rond. Tout est tellement vide, tellement pénible. J’ai mal. J’ai tellement besoin d’amour. J’aimerais tant que l’on me comprenne, que l’on me prenne et que l’on me serre très fort dans ses bras. Que l’on me donne de la tendresse et de l’attention. Que l’on me dise que je compte, que je suis importante aux yeux de quelqu’un. Que l’on me dise que j’existe, que je suis là, que je suis vivante et que l’on m’aime. Mon utopie s’éteint. Je suis de nouveau seule avec moi-même, pendant un instant, j’y ai peut être cru. Je fais brûler une dernière fois la cuillerée que je m’injecte par la suite dans les veines. Le poison circule dans mon sang, il n’a que le temps de faire un tour. Je me recouche sur le sol poussiéreux et je me replie sur moi-même. Je ressens une dernière fois mon interminable défaite face à la vie. Je ferme tranquillement les yeux. Je sombre dans l’oubli. J’ai froid. En hommage à Radiohead. Doux poison qui circule dans ma tête et dans mon cœur. 2004
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